Rejet par la CNIL d’une plainte aux fins de déréférencement d’opinions politiques divulguées par le requérant lui même

Dans un arrêt rendu le 20 décembre 2023, le Conseil d’État a apporté un éclairage significatif sur le droit au déréférencement de données personnelles publiées sur un site internet, en particulier lorsqu’il s’agit de données relatives aux opinions politiques de la personne. Cette décision met en lumière l’articulation de la responsabilité du requérant, des moteurs de recherche et des autorités de régulation en matière de protection de la vie privée et des données personnelles.   

 

🟠 Contexte de la décision  

 

Un individu qui avait fait l’objet d’un article de Médiapart faisant référence à ses opinions politiques a demandé à la société Google de procéder à l’effacement des données le concernant conformément à l’article 9 du RGPD qui interdit le traitement de données révélant entre autres les opinions politiques. A la suite du refus opposé par Google, l’individu, un homme politique connu, a saisi la CNIL afin qu’il soit enjoint à Google de procéder au déréférencement du lien menant vers l’article de Médiapart.

Il convient de préciser que l’individu ne cachait par ailleurs pas ses opinions politiques ainsi que son appartenance à des groupes, mouvements ou partis politiques d’extrême droite.

La CNIL, après examen de la plainte, a rejeté sa demande, estimant qu’aucune violation des droits à la protection des données personnelles n’était caractérisée. N’ayant pas obtenu gain de cause auprès de la CNIL, le requérant a exercé un recours pour excès de pouvoir contre cette décision administrative devant le Conseil d’état.  

Ainsi, la question qui était posée au Conseil d’État était celle de savoir si la publication sur un site internet de données personnelles relatives aux opinions politiques notoirement connues était contraire au RGPD ?   

 

🟠 Analyse de la décision du Conseil d’État

Afin de répondre à la question de savoir si le requérant a un droit au déréférencement lorsqu’il a un passé politique controversé, le Conseil d’État s’est fondé sur les éléments suivants :

  1. L’exactitude matérielle des informations sur les opinons politiques rendues publiques : le Conseil d’État estime que l’article qui a été publié sur Médiapart et qui est référencé sur Google ne fait que retracer l’engagement politique du requérant depuis le début des années 1990 au travers de son appartenance à des groupements ou partis politiques identitaires. Au regard de ce constat, il conclut que le requérant ne peut contester l’exactitude matérielle de son engagement au cours de ces années.
  1. Le rôle joué par le requérant dans la publication des données personnelles portant sur ses opinions politiques : L’article 9 du RGPD règlemente le traitement de catégories particulières de données à caractère personnel. Précisément, cet article 9 interdit le traitement de données à caractère personnel révélant notamment les opinions politiques. Cependant, le point e) du paragraphe 2 de l’article 9 du RGPD stipule que cette interdiction ne s’applique pas lorsque le traitement porte sur des donnés à caractère personnel qui ont été manifestement rendues publiques par la personne concernée. Or, en l’espèce, le Conseil d’État retient que bien que les données relatives à l’appartenance politique qui ont été publiées relèvent d’une des catégories particulières visées à l’article 9 du RGPD, il n’en reste pas moins qu’elles ont été manifestement rendues publiques par l’homme politique lui-même qui a de surcroît fait la promotion de certaines de ses activités commerciales en se fondant sur cette appartenance politique. En conséquence, en choisissant de divulguer ces informations, il a de facto accepté les risques de diffusion et de réutilisation par des tiers.
  1. La contribution de la publication des données personnelles politiques à alimenter un débat d’intérêt général : en dernier lieu la juridiction administrative suprême considère que la publication de l’information selon laquelle certaines mairies dirigées par le parti politique auquel adhérait le requérant ont promu auprès de leurs administrés un produit vendu par l’entreprise que co-dirigeait l’homme politique en cause, contribue au débat d’intérêt général.

🟠 Conséquences et perspectives de la décision du CE

Cette décision du Conseil d’État constitue un précédent important en matière de droit du numérique et de protection des données personnelles en rappelant aux individus la prudence dans la publication d’informations personnelles sur internet, ainsi qu’en précisant le cadre légal du déréférencement et les limites de l’intervention des autorités de régulation dans ce domaine. En effet, les moteurs de recherche, tel que Google dans la présente décision, ne peuvent être tenus pour responsables du contenu qu’ils indexent lorsque ce contenu a été volontairement rendu public par les utilisateurs. En revanche, leur responsabilité ne peut être engagée que dans des cas spécifiques, notamment en cas d’indexation de contenu manifestement illicite.

🟠 En conclusion, l’arrêt du Conseil d’État du 20 décembre 2023 marque une étape significative pour la jurisprudence relative au droit à l’oubli et au déréférencement. Il confirme la nécessité d’une approche nuancée et équilibrée, prenant en compte à la fois les droits des individus à la protection de leurs données personnelles, leur propre participation à la divulgation des données les concernant et les intérêts légitimes et démocratiques du public à accéder à l’information. Cette décision donne une illustration d’un adage bien connu en droit, l’adage « nemo auditur propriam turpitudinem allegans », qui veut que l’on ne puisse se prévaloir de sa propre turpitude afin de faire valoir ses droits.

Pour en savoir plus / sources 

      • https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/immateriel/43382/donnees-relatives-a-l-appartenance-politique-et-dereferencement-d-un-article-de-presse
      • https://www.lamyline.fr/ju/ce/2023/decision-ce-chambres-reunies-du-20-decembre-2023-n-464642