Dans un arrêt rendu le 25 octobre 2023, la Cour d’appel de Paris a dû trancher entre la liberté d’expression et l’interdiction relative au contenu diffamatoire prévue par la loi pour la confiance en l’Economie numérique (Loi LCEN) suite à un litige impliquant Twitter International Unlimited Company (TIUC) et M. [O] [Y], directeur du secrétariat particulier du roi du Maroc.
🟠 Contexte du litige et procédure
M. [Y] a été l’objet de propos diffamatoires sur Twitter, l’accusant d’être impliqué dans des menaces de mort, enlèvements et tortures. En effet des propos accusatoires étaient mentionnés sur la biographie d’un profil twitter. Ce dernier a adressé un signalement à la société Twitter, en sa qualité d’hébergeur, au sujet de cette publication qu’il estimait être manifestement illicite, aux fins d’obtenir le retrait immédiat de la publication.
La société Twitter a répondu qu’aucune infraction aux règles de la plateforme n’avait été constatées.
Le requérant a donc saisi le tribunal judiciaire de Paris d’une action en référé sur le fondement de la loi LCEN afin que la société Twitter soit condamnée :
- A retirer les propos mis en ligne.
- A supprimer pendant 30 ans toute publication contenant un message identique.
- A communiquer les informations relatives à l’éditeur du compte.
- A lui payer des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
🟠 Décision de la Cour d’appel
Le tribunal judiciaire de Paris, en septembre 2022, a débouté M. [Y] de toutes ses demandes. Le requérant a interjeté appel afin de faire prononcer par les juges du fond que le maintien en ligne des propos litigieux lui font subir un dommage qu’il convient de faire cesser.
En appel, la Cour a confirmé ce jugement, et a considéré que les demandes de M. [Y] étaient disproportionnées et porteraient atteinte à la liberté d’expression.
🟠 Analyse de la décision et rappel des règles applicables
Avant de se prononcer la Cour d’appel a rappelé les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) sur laquelle elle s’est fondée :
- L’article 6.1 prévoit que les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne informent leurs abonnés de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens.
- L’article 6.2 énonce que les personnes qui mettent à la disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite.
- L’article 6.8 de cette loi prévoit que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Cette décision soulève des questions importantes sur l’équilibre entre la liberté d’expression et le droit à l’image, surtout dans le contexte des réseaux sociaux. La Cour a privilégié la liberté d’expression, tout en considérant la possibilité d’un débat contradictoire et la protection des données personnelles.
En effet, la Cour d’appel estime que le tribunal a exactement retenu que si les faits qui sont reprochés au demandeur peuvent être empreint d’une certaine gravité de nature à ce qu’un dommage soit caractérisé au sens de l’article 6.8 précité, les mesures de retrait des propos et de suppression de propos similaires pendant trente ans apparaissent disproportionnées au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression.
Elle considère que dès lors que si le requérant disposait comme il le prétend, d’informations incriminant la personne qu’il accuse de diffamation, il lui appartenait de soumettre ses demandes à un débat contradictoire, c’est-à-dire d’engager une procédure sur le fond.
🟠 Conclusion
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris illustre la complexité des enjeux juridiques liés aux réseaux sociaux et la difficulté de concilier les différents droits fondamentaux qui s’opposent. Il met en lumière l’importance d’un équilibre délicat entre la liberté d’expression et la protection de l’individu contre la diffamation.
Par ailleurs, la Cour considère que la procédure en référé n’est pas celle requise lorsque celui qui se prévaut de faits de diffamation à son encontre peut directement agir sur le fond au vu des éléments qu’il détient. Un retrait immédiat par Twitter pendant 30 ans d’un contenu, même illicite, n’est pas une sanction en adéquation avec la procédure en référé.
Pour en savoir plus / sources :
- Cour d’appel de Paris, Arrêt du 25 octobre 2023, RG n° 22/17171.
- https://www.courdecassation.fr/decision/653a06c9d0451e8318d0eb11?search_api_fulltext=twitter&op=Rechercher%20sur%20judilibre&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=1